Dans plusieurs croyances du monde, la mort emporterait les âmes des morts (généralement ceux qui ce sont perdus en mer) dans une barque ou un vaisseau, nommé le bateau des morts. En Bretagne, cette ou ces barques noires se nomme Le Bag-Noz (Bag-an-noz ou Bag Veru). Cette vieille légende datent de la nuit des temps, et prend racine dans les croyances disant que l'âme d'un mort ne peut traverser un cour d'eau sans pont ou bateau.
La légende du bateau des morts est l'une des premières qui aient été constatées sur notre littoral et existait sans doute bien avant la conquête romaine, et au VIe siècle Procope la rapportait en ces termes :
« Les pêcheurs et les autres habitants de la Gaule qui sont en face de l'île de Bretagne sont chargés d'y passer les âmes, et pour cela exempts de tributs. Au milieu de la nuit, ils entendent frapper à leur porte. Ils se lèvent et trouvent sur le rivage des barques étrangères où ils ne voient personne, et qui pourtant semblent si chargées qu'elles paraissent sur le point de sombrer et s'élèvent d'un pouce à peine au-dessus des eaux. Une heure suffit pour ce trajet, quoique, avec leurs propres bateaux, ils puissent difficilement le faire dans l'espace d'une nuit. »
Ce navire des morts n'a pas disparu de la tradition contemporaine, et de 1830 à nos jours, on le voit figurer dans plusieurs récits, recueillis sur divers points de la Bretagne. Selon un conteur, les apparitions du Bag Noz se déroulent comme ceci:
« Près de Saint-Gildas, les pêcheurs de mauvaise vie, et qui se soucient peu du salut de leur âme, sont réveillés la nuit par trois coups que frappe à leur porte une main invisible. Alors ils se lèvent, poussés par une force surnaturelle. Ils se rendent au rivage, où ils trouvent de longs bateaux noirs qui semblent vides, et qui pourtant s'enfoncent dans la mer jusqu'au niveau de la vague. Dès qu'ils sont entrés, une grande voile blanche se hisse seule au haut du mât et la barque quitte le port, comme emportée par un courant rapide. Ces bateaux chargés d'âmes maudites ne reparaissent plus au rivage, et que le pêcheur est condamné à errer avec elles à travers les océans jusqu'au Jugement. »
D'après C. d'Amazeuil, ce bateau doit, jusqu'à la fin des siècles, aller de plage en plage, d'île en île, à la recherche des corps des marins pour les ramener au hameau qui les a vu naître. La croyance au navire des morts se retrouve aussi, sous des formes variées, et pas toujours précises, dans plusieurs autres récits.
Les Bolbiguéandets du Morbihan, qui sont des espèces de lutins, forcent des voyageurs à entrer dans une barque noire, où se pressent des fantômes. Quand elle est chargée, elle part avec la rapidité d'une flèche pour une île inconnue. Les âmes s'envolent, la barque repart, le conducteur tombe dans un sommeil profond, et, le lendemain se retrouve endormi à terre.
Sur les côtes du Finistère, la Barque des Morts, Lestr an Anaon, vogue la nuit, chargée à couler bas, et ses passagers, à qui les hèle, ne répondent que par des amen.
On ne dit pas quelle est sa destination, ni par qui elle est conduite.
À Audierne, on est mieux renseigné, au moins quant au capitaine d'un bateau qui s'y montre de temps en temps, il est rempli de lumières et l'on n'aperçoit personne à bord. D'autres fois, on entend seulement des bruits d'aviron, des commandements d'étarquer les voiles, mais on ne voit rien. C'est le Bag-Noz (bateau de nuit) qui fait, sur mer, l'office que le Carrik Ankou, le Chariot des morts, fait sur terre. Il est commandé par le premier mort de l'année.
A l'île de Sein, l'homme de barre du Bag-Noz est le dernier noyé de l'année.
Une femme, dont le mari avait disparu en mer sans que son corps eût été retrouvé, l'aperçut qui tenait la barre, un jour que le Bag-Noz passait tout près d'une des pointes de l'île.
Ce bateau se montre quand quelque sinistre doit se produire aux environs, il apparaît sous une forme assez indécise à la tombée de la nuit et son équipage pousse des cris à fendre l'âme. Dès que l'on veut s'en approcher cependant, la vision disparaît. Un marin parvint cependant à le serrer, une nuit, d'assez près pour voir qu'il n'y avait personne à bord, que l'homme de barre, sitôt qu'il lui eut parlé, le bateau disparut.
On croit dans le pays de Tréguier qu'il y a des barques qui portent les âmes des morts, et surtout celles des noyés, à des îles qu'on ne connaît pas, et que personne n'a jamais vues, mais qui n'en existent pas moins et qui se montreront à la fin du monde. Les soirs d'été, quand le vent se tait et que la mer est calme, on entend gémir les rames et l'on voit des ombres blanches voltiger autour des bateaux noirs. Si quelqu'un tente de suivre en mer les barques qui portent les âmes des morts, il est obligé de les accompagner jusqu'à la consommation des siècles.
On raconte au port de la Claye que, jadis, on entendait un bruit de rames et de soupirs sur la rivière du Lay. Une barque mystérieuse remontait jusqu'à Morteville, puis redescendait vers la mer avec la marée. Les légendes bretonnes connaissent une sorte de navire-enfer, qui comme le Voltigeur hollandais, navigue sans repos et est monté par un équipage de damnés, composé de tous les « faillis » matelots, des coquins morts sous la garcette pour vol à bord, des lâches qui se sont cachés pendant les combats.
À l'île d'Arz, à l'île aux Moines, et dans quelques autres localités du Morbihan, il est assez souvent parlé de vaisseaux de haut-bord montés par des hommes et par des chiens de taille gigantesque. Ces hommes sont, paraît-il, des réprouvés dont la vie a été souillée par des crimes, les chiens sont des démons préposés à leur garde et qui leur font endurer mille tortures.
Suivant des croyances constatées dans un assez grand nombre de pays, les âmes, une fois séparées du corps, ne peuvent franchir un cours d'eau, sans l'aide d'une barque ou d'un pont, c'est pour le salaire du batelier que même en France, à des époques récentes, on plaçait une pièce de monnaie dans la main du défunt.
Presque chaque année, le jour des Morts, on voit apparaître au bout de la jetée de Dieppe un des navires qui ont péri depuis un an. On le reconnaît, ce sont ses voiles, ses cordages, sa mâture. Le gardien du phare lui jette la drome, l'équipage la saisit et l'attache à l'avant-pont, suivant l'usage.
Alors le gardien de crier aux gens du port :
« Accourez ! Veuves, voici vos maris;
Orphelins, voici vos pères ! »
Et les femmes accourent, suivies de leurs enfants;
tous s'attellent à la drome et halent le bateau.
Bientôt dans le bassin, près du quai, chacun reconnaît ceux qui sont à bord :
« Bonjour, mon homme; bonjour, mon père; bonjour, Pierre, Nicolas, Grégoire ! »
L'équipage ne répond pas.
« Alors, amenez vos voiles ! » les voiles restent tendues.
« Venez donc, que nous vous embrassions. »
A ces mots on entend sonner la messe, et aussitôt les voiles, le bateau, l'équipage, tout disparaît; les femmes et les enfants des naufragés s'en vont à l'église en pleurant.
« Payez vos dettes » murmure autour d'eux la foule des spectateurs.
Une barque, montée aussi par des âmes en peine faute de prières, apparut à deux marins dont le bateau, surpris par la marée, s"était échoué dans la rivière de Quimper. Ils s'étaient roulés dans leur voile et allaient s'endormir en attendant le retour du reflux, quand ils furent hélés à plusieurs reprises par une voix forte qui leur demandait, en les appelant par leur nom, d'aller chercher des gens embarrassés.
À la fin, ils regardèrent dans la direction de la voix et virent que le fond de la baie venait de s'éclairer subitement d'une lumière qui semblait sortir des eaux. Dans cette lumière se profilait une barque où cinq hommes, pareillement vêtus de cirés blancs parsemés de larmes noires, se tenaient debout, les bras tendus. L'un des marins, pensant que c'étaient des âmes en détresse, leur cria qu'ils étaient échoués, mais étaient prêts à faire ce qu'ils pourraient pour eux. Alors les cinq fantômes s'assirent chacun à leur banc et se mirent à ramer, mais comme ils ramaient tous du même côté, le bateau, au lieu d'avancer, virait sur place. Les deux marins, avec de l'eau à mi-jambe, se dirigèrent vers la barque blanche, mais quand ils furent tout proches, elle sombra soudain et la lumière de la baie disparut. À la place où étaient les quatre rameurs s'allumèrent quatre cierges, et le cinquième, celui qui tenait tout à l'heure le gouvernail, avait encore la tête et les épaules au-dessus de l'eau.
L'un des matelots lui ayant demandé s'il était de Dieu ou du diable, l'homme lui répondit :
« Nous sommes ici cinq âmes qui attendons le passage d'un homme de bonne volonté. »
Comme le marin lui répondait qu'ils étaient disposés à faire ce qui était nécessaire pour les délivrer, il ajouta que pour cela, il fallait faire dire cinq messes mortuaires pendant cinq jours, au maître-autel de Plomelin, auxquelles devaient assister trente-trois personnes. Lorsqu'elles eurent été dites, les marins retournèrent à la baie où la lumière se montra de nouveau au-dessus des flots, et les cinq fantômes apparurent dans la barque, encore vêtus de leurs cirés blancs, mais les larmes en avaient disparu, ils avaient l'air heureux et une musique délicieuse se fit entendre pendant qu'ils remerciaient par trois fois les marins.